Paris des Chefs : duo Fulvio Pierangelini Fuksas
Encore un duo plein de panache et qui nous a transmis de vraies idées : Fulvio Pierangelini, le
plus grand Chef italien qui soit, et Massimiliano Fuksas, architecte hors normes.
J'attendais beaucoup de Fulvio Pierangelini. C'est un personnage. D'abord avec un nom pareil, "Pierre l'ange", au pluriel qui pis est, on s'envole
au dessus du commun. Et c'est aussi ce bonhomme, à la crinière improbable et à la carrure imposante : son accent est à tomber, ses paroles, on les boit. Et puis
j'ai été rassurée : son mythique tablier bleu nuit à fines rayures blanches faisait partie du numéro. Comme avec le duo Carole Bouquet Anne-Sophie Pic (ici) on ne va pas être décus, on ne va pas nous infliger un de ces
shows-pirouette (il y en a eu quelques-uns) qui part d'une (vraie ? fausse ?) bonne idée puis qui fait pschit. Non non, ces deux vrais
grands créateurs admirables nous ont transmis des idées, deux vraies recettes ont été proposées, avec la philosophie qui les nourrit, et qui nous nourrit aussi...
La thématique "Peau et surface", qui était sensée être le fil conducteur de chaque présentation a été suivie : l'architecte
urbaniste Massimiliano Fuksas, élève de Giorgio de Chirico, directeur de la biennale de Venise, nous a présenté un diaporama
de ses oeuvres où la peau joue un rôle majeur. L'étonnant et majestueux Zénith de Strasbourg par exemple, conçu comme un lampion phare géant fait d'une "peau" texturée de
fibre de verre avec silicone tendue sur une ossature métallique. Il a choisi de nous parler de cet édifice qui par sa couleur orange vif faisait écho aux rougets que Fulvio était en train de
préparer en cuisine...
Lorsque le cuisinier a décidé de nous préparer une raie il nous a présenté les clichés de l'incroyable habit de l'aéroport international Bao'An de
Shenzen en Chine, conçu davantage comme un poisson que comme un oiseau,
"une raie
qui respire, change de forme, a sa douceur, se plie, subit des variations, prend la lumière, la filtre...". Si ça n'est pas un duo parfaitement en phase...
Je reprends mes notes et plonge dans mes souvenirs pour les partager avec vous... Pas facile, j'ai écrit dans le noir et sur les petits coins restés blancs des pages du magazine qui
nous a été distribué à l'entrée...
Ah oui : il y a l'"aventure Rouget". La bécasse de la mer. Fulvio nous propose une petite démonstration : il cuit dans une poêle juste avec un filet d'huile d'olive et quelques branches de
thym, deux rougets. L'un est écaillé et vidé. L'autre est cuit entier, avec peau et écailles. Pour se permettre cela il faut bien sûr travailler avec des produits d'une
fraîcheur extrême et c'est là qu'est le mythe : la cuisine française est une cuisine de transformation, tandis que la cuisine italienne est une cuisine de produits. Fulvio se targue d'être
le chef le plus italien des français et exulte si on le déclare le plus français des italiens. Il est à la conjonction des deux cuisines. Mais l'aboutissement d'une carrière brillante à Alba est
qu'il prône maintenant la simplicité absolue. La simplicité en cuisine est ce avec quoi on démarre, mais c'est aussi un aboutissement, une philosophie aboutie. A méditer pour nous cuisiniers amateurs.
Lorsqu'il fera goûter à la chanceuse Julie Andrieu les deux rougets, elle ne pourra qu'admettre que celui qui a cuit sans apprêts, juste dans sa peau comme une papillote iodée, une gangue
protectrice, est excellent. Il a gardé sa graisse naturelle, qui l'a juste parfumé, ses filets se détachent sans peine et restent entiers, alors que celui d'à côté, qui a cuit le même temps, mais
sans ses écailles et vidé, se délite et ne donne pas la même saveur ni la même texture parfaite. Le plat est dressé, avec une simplicité extrême. Le foie du rouget est utilisé comme condiment
comme il se doit et quelques tomates accompagnent l'ensemble. Parlons en des tomates : elles ne sont pas coupées au couteau, sacrilège ! Elles sont carressées par la main du chef, qui
préfère les couper entre les doigts, "pour ne pas les blesser". Pas forcément une excentricité : lorsqu'elles vont passer rapidement à la poêle elles vont s'imprégner correctement tout
naturellement d'huile d'olive (Fulvio se déplace toujours avec sa propre huile d'olive) et des parfums qu'on choisira de leur offrir (mais pas trop pour ne pas embrouiller le
palais).
Idem pour ces gousses d'ail qui vont accompagner la raie : on les laisse dans leur peau pour qu'elles gardent une saveur authentique (a vous de tester une cuisson avec ou sans épluchage).
Elles vont accompagner ces raviolis de raie, commencés quinze minutes après la fin du timing prévu... Julie Andrieu en a pris son parti : avec Fulvio le temps est aboli, le déroulement de la
journée en gardera son empreinte, si on travaille avec un artiste on en accepte le rythme... D'ailleurs Fulvio et Massimiliano Fuksas sont passionnants, leur accent italien chantant et
la pertinence de leurs propos nous transportent, on est bien avec eux, on les suit sans s'en rendre compte. Les raviolis à la raie crue sont une autre interprétation de la peau : le mystère de ce
qui est caché, la légèreté aussi. la raie avait une peau qu'on lui a ôtée, on lui en offre une autre... En quelques instants la magie a opéré, le plat est dressé, pourtant le chef a eu le temps de nous donner la recette de sa pâte, 12 oeufs et trois jaunes, farine de froment et semoule de blé dur, il a eu le temps de nous présenter ses assistants,
qui sont montés sur scène, de nous ennivrer de sa voix chantante, on a rien vu passer. Deux italiens pleins de talent qui ne se sont pas défilés. Applause. On nous annonce Yannick Alléno et Alain
Moatti, quel rythme...
Récapitulatif des articles Paris des Chefs :
2012 Humer l'atmosphère
2012 Duo Anne-Sophie Pic Carole Bouquet
2012 Duo Fulvio Pierangelini Massililiano Fuksas
2011 Thierry Marx
2011 Arnaud Daguin
2011 Mauro Colagreco
La newsletter vous informe en avant première d'événements et de publications à venir et fait le point du meilleur de Grelinette et Cassolettes (astuces, idées de présentation etc.). Pensez à vous inscrire (en bas à droite) ! Vous pourrez aussi et surtout recevoir les articles au fil de leur publication, qui n'est pas forcément régulière...